Interdictions abusives de l'escalade

Ci-dessous le texte d'une lettre envoyée le 23 juillet 1997 à Madame Dominique Voynet, Ministre de l'Environnement


Madame le Ministre,

Nous tenons par la présente à attirer votre attention sur les difficultés croissantes qu'opposent à la pratique de l'escalade en site naturel les administrations dépendant du Ministère de l'Environnement, souvent poussées par des associations qui font de la « défense de la nature » leur but unique et exclusif, fût-ce au détriment de l'intérêt général et des besoins de la société humaine.


Comme vous le savez, hormis les compétitions qui ne se déroulent que sur des structures artificielles (coûteuses) et ne concernent qu'une minorité, l'escalade se pratique essentiellement sur des sites naturels, c'est à dire des falaises situées à basse altitude ou en moyenne montagne que nous partageons (N.B.: il s'agit de « partage » et non d'hégémonie de l'une quelconque des parties au détriment de l'autre) volontiers avec les autres activités de plein air non-motorisées et les espèces naturelles (plantes, oiseaux et animaux) qui y vivent ordinairement. D'ailleurs les associations de grimpeurs en tiennent de plus en plus compte dans la gestion des sites en « neutralisant » les endroits sensibles en matière de faune ou de flore.

Malheureusement, ce besoin d'exercice physique se heurte de plus en plus aux oppositions des administrations de l'Environnement au motif, soit que les falaises contiennent des plantes protégées (protégées mais pas pour autant rarissimes au plan national ni a fortiori au plan planétaire), soit qu'elles accueillent -- ou sont « susceptibles d'accueillir » -- des espèces animales protégées, le plus souvent des rapaces. Ces oppositions sont généralement aggravées par des arrêtés, dont la rigidité dans le temps et dans l'espace contraste avec la souplesse des négociations que nous menons en d'autres lieux avec les spécialistes, par exemple le Fonds d'Intervention pour les Rapaces.

Ainsi, récemment en Bourgogne, on nous a opposé la présence sur une falaise convoitée de plusieurs plantes, certes rares en Bourgogne mais très fréquentes dans le midi. Autant dire que, si nous sommes fervents défenseurs de la biodiversité afin de conserver le patrimoine génétique de la planète, nous considérons comme abusif cet argument quand il s'applique à une portion de département, surtout quand aucun inventaire exhaustif n'a été fait de la flore des zones rocheuses des environs, dont peu intéressent les escaladeurs. Il ne faut quand même pas mettre au même niveau la conservation d'une espèce menacée au plan mondial et le maintien d'un petit écosystème qui n'est qu'une curiosité locale au détriment des besoins d'activités sportives de pleine natures de dizaines de milliers de personnes !

De même, dans beaucoup de falaises de l'est de la France -- et maintenant même en Normandie ! -- on nous oppose la possible présence de faucons pèlerins. Or nous savons aujourd'hui que cette espèce, qui ne comportait que quelques dizaines d'individus en France dans les années soixante-dix, n'est plus une espèce en voie de disparition (selon le Fonds d'Intervention pour les Rapaces il y a environ deux ans) puisque les nids sont si nombreux -- des centaines voire des milliers -- que les associations ornitophiles n'arrivent plus à les surveiller tous ! Ceci prouve au moins que les mesures prises depuis vingt ans sont efficaces et suffisantes mais, malheureusement, les « supporters » du faucon pèlerin réclament que les interdictions de la pratique de l'escalade (et d'autres activités de plein air comme le parapente...) soit multipliées proportionnellement à la prolifération de ces oiseaux... qui viennent parfois coloniser les falaises habituellement fréquentées par les escaladeurs.

Il faut pourtant savoir que les escaladeurs -- tout comme les alpinistes, les randonneurs, les pratiquants des sports d'eaux vives, etc. -- sont avant tout des amateurs de pratique en environnement naturel, et qu'ils souhaitent protéger au maximum ces espaces. Ils sont donc prêts à beaucoup de sacrifices (longues marches, inconfort, voire un zeste d'insécurité) pour protégéer ces lieux, mais la seule chose qu'il ne peuvent accepter, c'est qu'au nom de la protection de la nature, on leur en interdise l'accès. Or, pour ce qui est des restrictions qui font l'objet de cette lettre, qu'il s'agisse des plantes ou des rapaces,

Disons le tout de suite, de telles restrictions posent peu de graves problèmes dans des régions très accidentées comme Rhône-Alpes ou Provence-Alpes-Côte-d'Azur (hormis une interdiction totale dans le parc du Luberon) où les falaises sont très nombreuses et où les impacts économiques de l'escalade et du tourisme sportif sont si importants qu'ils ont priorité sur la défense pointilleuse de la nature.

En revanche, le problème est grave dans le nord et l'est de la France, régions peuplées où les sites naturels de pratique sportive de pleine natures sont rares, et où les autres rochers pouvant accueillir les plantes et les oiseaux sont comptés pour nuls. On risque alors d'induire un comportement des grimpeurs bien pire que les dégâts dont on les accuse : ne pouvant plus pratiquer à 100 ou 200 km de chez eux (pensons entre autres à la région parisienne et à ses 10 millions d'habitants), ils seront obligés à chaque fois de faire 600 ou 700 km en voiture pour aller dans des régions moins interdites, et ce sera autant de combustibles fossiles consommés, autant de CO$_2$ envoyé dans l'atmosphère, et encore plus de risques d'accidents automobiles !

Plus grave encore du point de vue politique, si au nom de la défense de l'environnement on les exclut progressivement des sites naturels, ils finiront par vendre leur soutien aux lobbies des transports routiers, en échange de murs d'escalade sur les aires d'autoroute, sur les piles des viaducs ou sur les flancs des remblais. Il est aussi à craindre que certains grimpeurs, énervés par ces interdictions abusives, fassent payer aux plantes et aux animaux qu'ils rencontrent leur opposition aux abus des associations et des administrations intégristes. Est-ce vraiment ce que l'on cherche en déviant la défense de l'environnement -- « l'environnement » est ce qui environne les hommes et non ce qui les exclut -- pour en faire une défense intransigeante des espèces animales ou végétales, contre les besoins légitimes de l'homme ?

Nous demandons donc au Ministre de l'Environnement d'intervenir auprès des administrations qui dépendent de son autorité, pour qu'elles tiennent un peu mieux compte des besoins d'activités physiques ou sportives de l'espèce humaine et qu'on n'en arrive pas dans quelques années à un monde bipolaire : d'un côté les mégapoles bétonnées en proie à la délinquance pour cause d'ennui, de l'autre côté la nature tellement bien défendue qu'elle serait interdite à tout le monde sauf quelques spécialistes agréés.

En vous remerciant par avance de votre action future, je vous prie d'agréer, Madame le Ministre, l'expression de notre très respectueuse considération,

Remarques : après la plaidoirie qui précède, nous savons par avance une des réponses qui nous sera donnée : il faut discuter avec les associations de défense des plantes et des oiseaux, et avec les administrations. Sachez que nous le faisons depuis des dizaines d'années, mais nous savons par expérience qu'après ces discussions, c'est toujours l'avis des opposants à nos pratiques qui est suivi par les administrations et les préfets.


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© CoSiRoc    25/01/2008